En Haia por P. Gosse y A. Moetjens, 1744.
4 volumes in-12 en plein maroquin vert, triple filet doré encadrant les plats, armoiries dorées de la princesse de Lamballe au centre, dos à nerfs ornés, filet or sur les coupes, roulette intérieure, tranches dorées. Reliure armoriée de l’époque.
157 x 95 mm.
« Don Quichotte » relié spécialement pour la Princesse de Lamballe (1749-1792) l’amie intime de la reine Marie-Antoinette, vers l’année 1775, en maroquin vert avec une sélection de vingt figures d’après Coypel gravées par Folkema, Fukke et Tanje, les exemplaires ordinaires comptant un portrait et 24 figures. Don Quichotte, chef-d’œuvre de la littérature mondiale, fut écrit probablement entre 1598 et 1604. La première partie fut publiée en 1605. Dix ans plus tard, en 1615, parut une deuxième partie qui est en quelque sorte l’illustration, l’interprétation et la conclusion définitive de la première. Selon ce que Cervantès nous déclare lui-même dans le Prologue de la Ire partie, son but a été d’écrire un roman de chevalerie, capable de se détacher de tous les autres largement répandus à cette époque.
« Le roman est issu, à l’origine, d’une inspiration polémique contre les livres de chevalerie dont il devait prendre tout simplement le contre-pied sous la forme d’une imitation ; mais il s’est transformé, petit à petit, en une représentation poétique et sincère d’un monde de plus en plus vaste et complexe, au sein duquel agit une force analogue à celle qui explique la vie individuelle et la vie universelle, l’histoire humaine et son devenir perpétuel. Pour Cervantès, cette force se manifeste essentiellement sous trois aspects, facettes d’un même prisme : d’un côté, la générosité et la grandeur morale de Don Quichotte ; de l’autre, le réalisme et l’égoïsme pratique de Sancho Pança ; mais ces deux modalités de l’action, apparemment inconciliables, profondément contradictoires, cèdent le pas devant le mystérieux attrait d’un idéal de beauté qui, s’il ne triomphe, du moins survit aux déceptions, donnant un constant démenti à l’affligeante réalité. Mais cet idéal, quel est-il ? La réponse ne peut être qu’obscure ; sinon que, profondément enraciné dans l’homme, le pouvoir lui a été donné de se dépasser ; et plus particulièrement pour ce qui est de Cervantès, ce dépassement se réalise dans l’œuvre d’art où il trouve un champ d’action propre à l’exercice de son talent. En face de cet univers poétique que son imagination installe dans la réalité, Cervantès est amené à éprouver un sentiment de charité qui adhère, avec une indulgence bienveillante, à toutes les formes dans lesquelles l’amour se réalise : sorte d’inspiration d’un genre naturel qui entraîne l’ensemble des hommes dans son sillage. Et même au sein de sa hâte pleine d’angoisse, c’est vers une vie contemplative qu’il nous conduit. Ainsi grâce à ce sentiment de charité, tous entrent dans le sillage lumineux des aventures incroyables de Don Quichotte : l’œuvre entière est comme enveloppée d’un sourire immatériel et translucide, qui laisse percer secrètement une inépuisable richesse d’humanité et d’expériences réellement vécues. La magie de ce sourire, en conférant au récit un caractère inimitable, a assuré à Cervantès une renommée triomphale. »
Précieux exemplaire revêtu de fraîches reliures en maroquin vert vers l’année 1775 aux armes de la princesse de Lamballe, l’une des provenances les plus rares et émouvantes de l’Ancien Régime.
Ernest Quentin-Bauchart (Les Femmes bibliophiles de France – Paris 1886) ne cite que 6 ouvrages reliés aux armes de cette princesse et insiste sur leur très petit nombre et leur médiocre condition habituelle : « Marie-Thérèse de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe, naquit à Turin le 8 septembre 1749. Elle était la quatrième fille de Louis-Victor de Savoie-Carignan et de Christine- Henriette de Hesse-Rhinfelds-Rothembourg, sa femme, grand’tante du roi de Sardaigne. Bientôt l’amitié la plus tendre unit la reine à la princesse. Nous n’en voulons d’autre preuve que cette lettre touchante, écrite par Marie-Antoinette à la mort de la princesse de Carignan : « J’ai appris avec une bien vive douleur, ma chère Lamballe, la mort de votre bonne mère à qui vous gardiez si grande tendresse et respect, j’ai pleuré de votre lettre, je connoissois toutes les vertus de la princesse de Carignan, ma douleur s’en augmente, c’est un poids trop fort à supporter pour vous et pour ceux qui vous aime, mon amie il me tarde de vous voir et de meler mes larmes avec les votres, car il nia pas de consolation pour un parreil désespoir et je ne peu que pleurée avec vous et prier Dieu. Nous parlions tout à l’heure de vous le roy et moi et nous déplorions la triste destinée qui poursuit une ange telle que vous si bien faitte pour appeler le bonheur autour delle et si digne de le gouter, mais votre touchante résignation est au-dessus de vos maux et l’amitié du bon M. de penthiévre et la notre vous reste, nous voudrions que cela put adoucir un peu lamertume de vos chagrins. Adieu ma chère Lamballe, je vous embrasse du meilleur de mon cœur comme je vous aimerai toute ma vie.
Marie-Antoinette
le roy entre
et veut vous ajoutter quelques mots. »
Un mot, un seul, Madame et chère cousine, mais un mot du fond du cœur. Vous savez combien nous vous aimons, que Dieu soit avec vous.
Louis.
Madame de Lamballe était en Allemagne quand elle apprit l’arrestation de la famille royale à Varennes. N’écoutant que les inspirations de son cœur, elle rentra à Paris le 14 novembre 1791, malgré les instances de la reine, qui la suppliait d’attendre : « Non, je vous le repette, ma chère Lamballe, ne revenez pas en ce moment ; mon amitié pour vous est trop alarmée, les affaires ne paraissent pas prendre une meilleure tournure malgré l’acceptation de la Constitution sur laquelle je comptois. Restez auprès du bon Monsieur de Penthièvre qui a tant besoin de vos soins ; si ce n’étoit pour lui il me seroit impossible de faire un pareil sacrifice, car je sens chaque jour augmenter mon amitié pour vous avec mes malheurs ; Dieu veuille que le temps ramenne les esprits ; mais les méchants répandent tant de calomnies atroces, que je compte plus sur mon courage que sur les évènemens. Adieu donc, ma chère Lamballe, sachez bien que de près comme de loin, je vous aime et que je suis sure de votre amitié.» Marie-Antoinette.
La princesse, après avoir partagé pendant quelques jours, la captivité de la reine au Temple, fut enlevée la nuit et transférée à la Force. C’était son arrêt de mort. « Les livres de Madame de Lamballe sont en très petit nombre et leur condition est médiocre. » (Ernest Quentin Bauchart. Les femmes bibliophiles de France).
Exceptionnel exemplaire, de toute rareté, du Don Quichotte de Madame de Lamballe conservé dans ses reliures armoriées en éclatant maroquin vert de l’époque.