A Paris, chez Durand, Libraire, Rue Du Foin, 1758. Avec Approbation et Privilège du Roi.
Grand in-4 de (2) ff., xxii pp., 643 pp., (1) p. Plein maroquin vert bronze, triple filet doré autour des plats, dos à nerfs orné, filets or sur les coupes, roulette intérieure, tranches dorées. Reliure en maroquin de l’époque.
253 x 193 mm.
Édition originale, saisie et condamnée à être brûlée dès sa parution.
exemplaire du tirage C.
« De l’esprit eut un énorme succès de scandale. Il est considéré aujourd’hui comme l’une des formes les plus systématiques et les plus absolues du matérialisme français du XVIIIe siècle. » (Jacques Guérin).
Diderot considérait que ce livre était « un furieux coup de massue porté sur les préjugés ».
« Cet ouvrage célèbre fut censuré par la Sorbonne comme contenant tous les poisons épars distillés dans les différents livres modernes, c’est-à-dire contemporains » (Tchemerzine).
L’ouvrage dédié à la famille royale, fut repoussé par cette dernière, et le 10 août, peu de jours après celui de la parution, le privilège, donné le 12 mai, fut révoqué. Malgré la Lettre au révérend père…..[Berthier ou Pleix), qui constitue une apologie et une rétractation, suivie d’une autre rétractation plus explicite, le livre fut blâmé par le clergé.
Helvétius en remit alors une troisième à Joly de Fleury, avocat général, le 22 janvier 1759 ; le 31 parut la lettre du pape, le 9 avril, la censure de la Faculté de Théologie. Dès le 23 janvier Fleury avait prononcé ses réquisitions, tout en ménageant l’auteur lui-même, et le Parlement, le 6 février 1759 rendit son jugement ; le livre fut brûlé le 10. Helvétius se défit de sa charge de maître d’hôtel de la reine ; le censeur démissionna.
Helvétius fit ces rétractations par amitié pour son censeur Texier, qui avait eu beaucoup d’ennuis à son sujet. Ces exemplaires présentent des Cartons aux pages 1-16, 35-38, 59-62, 67-70, 75-78, 139-142, 145-154, 159-160, 169-176, 187-190, 227-230, 233-234, 239-240, 459-462, 545-550, 603-606.
Dans le tirage A, le premier mot de la page 5 est « dans » ; « de » dans le tirage B et « mon » dans le tirage commun C.
« Les idées sociales et religieuses développées dans « De l’Esprit » sont souvent empruntées à Hobbes, Diderot, Voltaire ou Montesquieu ; certaines de ses théories sur l’amour- propre, l’intérêt et la fécondité des passions, l’identité entre question morale et question sociale, ne sont pas sans rappeler Vauvenargues, La Rochefoucauld ou Machiavel. Cependant, comment expliquer alors l’énorme « succès de scandale » qui salua la parution de cet ouvrage ? On sait que la réaction de l’Église et de l’État ne se fit point attendre, et qu’une cascade de condamnations furent lancées contre l’auteur, qui avait bien inutilement publié son livre sous l’anonymat. L’auteur dut se réfugier en Angleterre, puis en Allemagne, où il fut l’hôte de Frédéric II. L’archevêque de Paris, Mgr Christophe de Beaumont, lança, le 22 novembre 1758, un mandement spécial contre le livre ; la Sorbonne et le Parlement s’en mêlèrent, si bien que De l’esprit fut brûlé de la main même du bourreau. Cette condamnation devait d’ailleurs entraîner, l’année suivante, celle de l’Encyclopédie.
Ce « succès de scandale » tient, sans aucun doute, à ce fait qu’avec Helvétius tombent les dernières barrières théologiques dans lesquelles le sensualisme de Locke, et aussi celui de Condillac, était encore enfermé. Avec Helvétius, le matérialisme français du XVIIIe siècle prenait une de ses formes les plus systématiques et les plus absolues et substituait résolument au mythe idéaliste, qui veut que ce soient les idées qui gouvernent le monde et les hommes, le principe matérialiste, qui estime que c’est en transformant le milieu qui l’a formé que l’on transformera l’homme. On comprend qu’un tel principe ne pouvait que susciter les passions et l’intérêt en un moment où de grands changements dans la société apparaissaient comme de plus en plus probables et désirables. » (Guy Schoeller).
Karl Marx devait ajouter : « la doctrine matérialiste suivant laquelle les hommes sont des produits des circonstances et de l’éducation, que, par conséquent, des hommes modifiés sont des produits d’autres circonstances et d’une éducation modifiée, oublie que ce sont précisément les hommes qui modifient les circonstances et que l’éducateur a besoin lui-même d’être éduqué ».
Bel exemplaire relié en maroquin vert de l’époque provenant de la célèbre bibliothèque de Madame de La Borde avec ex-libris.