A Lausanne, chez Isaac Hignou, 1787.
In-8 iv et 204 pages.
Demi-basane brune, dos lisse orné de filets dorés, tranches jaspées. Reliure de l’époque.
188 x 111 mm.
Précieuse édition originale de Vathek, « chef-d’œuvre unique d’un des rares écrivains anglais d’expression française, William Beckford (1760-1844) », la bible de Byron et de Mallarmé, le roman précurseur du fantastique littéraire.
Exemplaire sur grand papier de Hollande.
Longtemps connu pour son seul Vathek, chef-d’œuvre unique d’un des rares écrivains anglais d’expression française, William Beckford eut un destin aussi incroyable et fascinant que celui de son conte.
Sa vie et son œuvre sont paradoxales. Jeune homme prometteur, né en 1760 d’un père immensément riche, propriétaire de plantations à la Jamaïque, « fils le plus opulent d’Angleterre » selon l’expression de Byron, ouvert à toutes les cultures (latine, française, italienne, arabe ou persane), à tous les arts (pianiste, chanteur, compositeur, collectionneur averti), imaginatif, voltairianisé à seize ans, il est aussi un proscrit parcourant longtemps l’Europe avant de venir s’enterrer en Angleterre une fois l’interdit levé.
On y recense, dans Vathek, les échos d’un Voltaire ou d’un Sade, ou bien les motifs de The Mirror for Magistrates. Il faut dire que malgré le fait que plusieurs études, et entre autres la plus magistrale, celle d’André Parreaux, y ont été consacrées, Vathek de William Beckford continue à poser de nos jours de nombreuses questions à ses lecteurs. Qu’est-ce que Beckford a écrit, au fond ? Est-ce un roman gothique ? Est-ce un conte arabe ? Un conte fantastique ? Ou un conte philosophique, dans la veine voltairienne ? Qui est Vathek ? Un monstre ? Un héros ? Ou bien quelle est la signification de la fin de cette œuvre ?
Il faut dire que le caractère pour ainsi dire énigmatique de Vathek, l’était encore davantage à la parution du livre mis à part les questions d’ordre littéraire, il en existait d’autres, qui étaient, à l’époque, non moins difficiles à résoudre, parce qu’elles étaient liées à l’identification de l’auteur.
On sait que Vathek fut écrit en français. Pour le traduire en anglais, Beckford eut recours à Samuel Henley, un enseignant, épris comme lui de culture orientale, qui fit publier en 1786 à Londres la traduction anglaise de Vathek sans préalable accord de Beckford, en indiquant dans la préface que la source en était un manuscrit arabe. Beckford fut contraint de se dépêcher avec la publication de la version française afin de prouver sa paternité. Heureusement pour lui, il a été très vite reconnu dans ses droits. À la fin de la même année 1786, la version originale parut d’abord à Lausanne (à la date de 1787) et ensuite à Paris, en décembre 1787.
“The celebrated romance of Vathek was published in French at Lausanne in 1787. The English edition, issued in 1786, was a translation not made by the author, nor by his consent. So admirable was the French original for ‘style and idiom that it was considered by many as the work of a Frenchman.”
“Lord Byron, a very competent judge both of the subject and the way in which it should be treated, praises Vathek in the highest terms: “For correctness of costume, beauty of description, and power of imagination, this most Eastern and sublime tale surpasses all European imitations; and bears such marks of originality that those who have visited the East will have some difficulty in believing it to be more than a translation…. “(Allibone)
On sait non seulement que Vathek est dû à la plume de Beckford, mais on en connaît l’origine exacte. Vathek est le fruit d’une exaltation exceptionnelle. Sa rédaction a fait suite à une orgie mémorable, un sacrilège, baptisé Mystères de Noël qui a prolongé Beckford dans une sorte de transe : « Je l’ai écrit dans une seule séance et en français, cela m’a coûté trois jours et deux nuits de grand travail, je ne quittai pas mes habits de tout le temps – une si rude application me rendit fort souffrant ».
C’est donc probablement là, une réponse aux questions que Vathek de Beckford nous pose : il s’agit en réalité d’une œuvre à clé, sinon autobiographique, en tout cas très personnelle, et par là‑même profondément originale.
William Beckford avait un peu plus de vingt ans lorsqu’il donna Vathek. Le roman fut créé suite à une fête mystérieuse qui eut lieu à Noël de 1781 au riche manoir de Fonthill que Bekford tenait de son père. Il l’avait fait décorer par un décorateur de théâtre, le peintre Loutherbourg, afin d’y organiser une fête à laquelle ne participeront que des personnes triées sur le volet : jeunes femmes sans leurs maris, jeunes filles et jeunes garçons. La fête s’est déroulée à huis clos et sans le concours d’aucun domestique. Le jeune Courtenay avait été parmi les invités. Les allusions à ces événements, que Louisa Beckford devait faire ensuite dans ses correspondances, donnent à penser que le programme en fut des plus libres. Selon une confidence tardive de Beckford, il lui aurait suffi, dans Vathek, d’orientaliser en pensée la demeure ancestrale de Fonthill pour faire jaillir de son imagination le palais d’Eblis.
Vathek est né donc de cette claustration, en réponse à ces étranges événements. « Ainsi, – résume A. Parreaux, – « Vathek » n’est pas né du contact avec le monde extérieur – the world without. Sa gestation a eu lieu dans un petit monde fermé, sans lien avec le monde banal (common place) de l’existence quotidienne ». Cela éclaire donc pour beaucoup la compréhension de l’œuvre de Beckford :
La plus grande partie du conte exprime, avec un appétit de jouissance sans retenue, la gaieté et la fantaisie les plus libres, l’espièglerie la plus folle, l’abandon à la sensualité la plus voluptueuse – bref, tout ce qui dut régner à Fonthill pendant les fêtes de Noël de 1781.
Dès lors, plusieurs études sont unanimes à voir dans Vathek une sorte de roman à clé. L’étude de James Lees-Milne en fait partie :
Beckford announced towards the end of his life that “Vathek” had been inspired by the scenes enacted during the coming-of-age and Christmas parties of 1781 in the Egyptian Hall and vaulted passages at Splendens, peopled as they were by the prototypes of Carathis (Mrs. Beckford), Nouronihar (Louisa), Guichenrouz (Courtenay) and various female servants.
Une autre tendance serait de voir dans le voyage de Vathek l’incessante quête du bonheur, qui au fur et à mesure tourne à la quête des plaisirs, qui, à son tour, touche très souvent au diabolique. Jean Fabre notamment discerne, dans la volonté systématique de Beckford de peindre les excès sensuels, le même penchant et le même goût que ceux d’un Sade :
« Beckford illustre admirablement cette poussée extraordinaire du principe de plaisir, si forte qu’il emporte son Vathek au-delà des frontières sinon du Gothique, du moins du pré-fantastique. Nous sommes là dans un monde excentré, un Orient de rêve ou plutôt de cauchemar, totalement hors de notre univers et coupé de toute heuristique. Une sorte d’allégresse du Mal. C’est par là que Beckford rejoint Sade, […] dont l’esprit de négation satanique se retrouve dans la jubilation exacerbée et blasphématoire qui domine le texte de Beckford. »
Dominique Fernandez affirme, lui aussi, dans son article « Le rire de William Beckford », que « Vathek, conte froid et cruel, exprime le côté sadique de Beckford ».
Se trouvant certainement, du moins en partie, sous l’influence des romans gothiques et des contes orientaux, William Beckford, ce riche instruit anglais, blasé et sarcastique, a su néanmoins créer avec son Vathek une œuvre profondément originale, pénétrée, dans son fond comme dans sa forme, avec un esprit particulier de l’excès. Nous avons pu constater sa présence notamment dans la composition du roman, ainsi que dans les « décors » de son action, sans oublier la donne des personnages divisés en deux catégories radicalement opposées. Ce même esprit des excès se retrouve central dans le traitement de l’essentielle problématique du roman portant sur l’ambition démesurée et ses conséquences.
Lors, de cette analyse, nous avons pu également déceler une certaine ambiguïté dans le traitement du problème du bien et du mal. Bien que cette question n’ait pas été tout à fait au centre de notre propos, nous tenons à souligner enfin que cette ambiguïté sera plus tard un des éléments caractéristiques du genre fantastique, dont l’œuvre de Beckford est considéré comme précurseur. Ajoutons à ce propos que l’inspiration des excès, qui remplit Vathek, aura un impact important aussi bien pour la problématique que pour la poétique du fantastique littéraire.
Précieux exemplaire imprimé sur grand papier de Hollande conservé dans sa reliure de l’époque.