TACHARD, Guy. Voyage de Siam, des Pères Jésuites, Envoyés par le Roy aux Indes & à la Chine. Avec leurs observations Astronomiques, Et leurs Remarques de Physique, de Géographie, d’Hydrographie et d’Histoire. Paris, A. Seneuze et D. Horthemels, 1686. Par ordre exprez de Sa Majesté.
In-4 de (8) ff., 424 pp., (4) ff. de table, 20 planches gravées hors texte dont 10 sur double-page. Maroquin rouge, décor à la Duseuil sur les plats, grandes fleurs-de-lys aux angles, armoiries dorées au centre, dos à nerfs fleurdelysé orné dans chaque entre-nerf de cinq fleurs-de-lys dont une grande au centre, coupes décorées, roulette intérieure, tranches dorées sur marbrures. Reliure armoriée de l’époque.
245 x 180 mm.
Édition originale de ce célèbre ouvrage décrivant la Thaïlande sous le règne du roi Louis XIV, dédicacé au roi. Brunet, V, 631.
Louis XIV diligenta lui-même cette mission au Siam, à la suite de la visite d’ambassadeurs siamois soucieux d’établir des liens commerciaux et politiques avec la France.
En 1680, la France obtint le monopole du commerce d’épices au Siam. Suite à la visite à Versailles du père Bénigne Vachet, prêtre des Missions Étrangères de Paris, et convaincu de ce que le roi du Siam Phra Naï (Narai) pouvait être converti au catholicisme, le roi Louis XIV décida en 1685 d’envoyer une ambassade au Siam, dirigée par le chevalier Alexandre de Chaumont. Avec l’aide du père La Chaise, confesseur du roi, les jésuites français purent adjoindre à l’expédition six jésuites mathématiciens qui devaient ensuite rejoindre la Chine, et recueillir sur ce pays toutes les observations utiles au commerce, à la politique, aux sciences et à la religion. Le supérieur de ces six jésuites mathématiciens était le père Tachard, originaire d’Angoulême. L’abbé de Choisy participait également à ce voyage en tant qu’historiographe. Ils arrivèrent en septembre 1685 à Lopburi, où le roi les reçut avec les plus grands honneurs. Le père Tachard, désigné pour aller chercher des missionnaires en Europe, rembarqua avec M. de Chaumont et une ambassade siamoise envoyée auprès de Louis xiv par Phra Naï sur les conseils de son principal ministre.
Né en 1651 à Marthon, près d’Angoulême, le père Tachard s’avère être, outre un excellent mathématicien, un grand voyageur. Dès 1680, on le trouve aux Antilles avec d’Estrée. « Le père Tachard, Jésuite, a dit la Messe : il a été aux îles de l’Amérique, et a le pied marin.» (Journal de Choisy – 4 mars). Lorsqu’il s’embarque avec le Chevalier de Chaumont en 1685, il accomplit son premier voyage en Orient, voyage qui sera suivi de quatre autres. Parmi les six jésuites envoyés en Chine, le père Tachard est le seul à revenir en France avec le chevalier de Chaumont. A cela, une raison officielle : le roi Naraï souhaite installer un observatoire à Louvo, il a besoin de mathématiciens et d’astronomes et il charge le jésuite d’aller en recruter pour lui en France, mais aussi une raison officieuse : convaincre Louis XIV d’envoyer de nouvelles ambassades ainsi que des troupes au Siam. Le père Tachard est l’instrument idéal entre les mains du Grec du Phaulkon, le conseiller du roi du Siam. Ce dernier n’apprécie guère le chevalier de Chaumont et ne peut raisonnablement compter sur lui pour défendre ses projets auprès du roi de France. Crédule et ambitieux, le jésuite s’avère vite être le messager idéal. C’est lui qui fera miroiter auprès de Louis XIV les avantages d’une alliance avec le Siam.
Le chevalier de Forbin évoque ainsi cet épisode : « Il [Phaulkon] commença par s’ouvrir d’abord à M. de Chaumont, à qui il fit entendre que les Hollandais, dans le dessein d’agrandir leur commerce, avaient souhaité depuis longtemps un établissement à Siam ; que le roi n’en avait jamais voulu entendre parler, craignant l’humeur impérieuse de cette nation et appréhendant qu’ils ne se rendissent maîtres de ses états ; mais que si le roi de France, sur la bonne foi de qui il avait plus à compter voulait entrer en traité avec sa Majesté siamoise, il se faisait fort de lui faire remettre la forteresse de Bangkok, place importante dans le royaume, et qui en est comme la clef, à condition toutefois qu’on y enverrait des troupes, des ingénieurs, et tout l’argent qui serait nécessaire pour commencer l’établissement. Monsieur de Chaumont et M. l’abbé de Choisy, à qui cette affaire avait été communiquée, ne la jugeant pas faisable, ne voulurent pas s’en charger. Le père Tachard n’y fit pas tant de difficulté. Ébloui d’abord par les avantages qu’il crut que le roi retirerait de cette alliance, flatté enfin par les promesses de M. Constance qui s’engagea à faire un établissement considérable aux Jésuites: en un mot, ce père ne voyant rien dans tout ce projet que de très avantageux pour le roi, pour la religion et pour sa Compagnie, n’hésita pas à se charger de cette négociation ; il se flatta même d’en venir à bout et le promit à M. Constance. Dès lors, le père Tachard eut tout le secret de l’ambassade, et il fut déterminé qu’il retournerait en France avec les ambassadeurs siamois.» Toutefois, dans la relation de son voyage, le père Tachard laisse entendre qu’il n’avait nullement l’intention de retourner en France et qu’il n’aspirait qu’à se rendre en Chine, mais qu’il dût se résoudre à obéir.
De retour à Paris, le père Tachard joue à merveille le rôle que Phaulkon attendait de lui. Il devient l’interlocuteur privilégié du marquis de Seignelay, ministre de la marine, pour tout ce qui touche aux affaires de Siam. Il est le principal artisan de l’ambassade suivante, dont il fera partie. Il retourna au Siam en 1687 puis servit d’interprète aux mandarins siamois près de Louis XIV en 1688 et à la Cour de Rome en 1689.
Cette première relation abonde en détails pittoresques et précis sur les mœurs et coutumes, la faune et la flore du Siam.
« Les observations scientifiques relatées sont exactes ». Hoefer.
L’ouvrage est orné en premier tirage de sept belles gravures en tête de la dédicace et des six livres par Sevin, décrivant la réception par Louis xiv des ambassadeurs siamois, la séance de l’Académie royale où fut décidée la mission, les parades navales, une ville du Siam, une place et des obélisques au Siam, l’observation par le Roi des astres au Siam…
20 grandes estampes, dont 10 sur double page évoquent les contrées explorées notamment le Cap de Bonne Espérance et le port de Batavia, les indigènes Hottentots et Namaquas, les navires royaux, les mandarins, la faune et la flore (rhinocéros, éléphant, caméléon, thé, ginseng…).
Toutes ces gravures sont signées d’après Sévin, De Cornelis Vermeulen, de l’école flamande, maître en 1682 et graveur depuis cette date à Paris dans l’atelier d’Edelinck.
Précieux et merveilleux exemplaire, l’un des rarissimes à très grandes marges dits « de présent », mesurant 25 mm de plus que l’exemplaire de Louis-César de Cremaux, marquis d’Entragues vendu 35 000 € il y a cinq ans.
Le présent exemplaire est relié en maroquin rouge de l’époque aux armes et symboles du Grand Condé (1621-1686).
Louis II de Bourbon, prince de Condé, duc de Bourbon, d’Enghien, de Châteauroux, de Montmorency, de Bellegarde et de Fronsac, premier prince du sang, dit le Grand Condé, fils d’Henri II, gouverneur de Bourgogne, et de Charlotte-Marguerite de Montmorency, naquit à Paris le 8 septembre 1621 et porta les titres de duc d’Enghien, de prince de Condé et de Monsieur le Prince, à la mort de son père (1646). Le 11 février 1641 il épousa Claire-Clémence de Maille-Brézé, duchesse de Fronsac et de Caumont, marquise de Brézé, nièce de Richelieu, qui confia à son illustre neveu le commandement de l’armée française. Âgé seulement de 22 ans, il remporta sur les Espagnols, la célèbre victoire de Rocroy, le 19 mai 1643. Il fut nommé gouverneur de Champagne et de Brie le 16 mai 1644, puis de Berry le l janvier 1647, reçut la charge de grand maître de la maison du roi le même jour, le gouvernement de Bourgogne et de Bresse le 5 janvier et le titre de vice-roi de Catalogne le 4 mars ; après la paix de Munster (octobre 1648), il soutint la cour pendant la première Fronde, mais ses prétentions le firent arrêter le 18 janvier 1650 ; mis en liberté le 13 février 1651, après un an de détention au château de Vincennes, à Marcoussis et au Havre, et bien qu’il eût été nommé gouverneur de Guyenne le 16 mai 1651, Condé n’aspira plus qu’à se venger de la reine, et à la tête de l’Armée des Princes, il combattit l’armée royale commandée par Turenne; après sa défaite du faubourg Saint-Antoine, il dût se réfugier aux Pays-Bas et servit contre la France comme généralissime des armées d’Espagne du 25 novembre 1652 jusqu’à la paix des Pyrénées (1659) qui lui permit de rentrer en France, d’obtenir son pardon et d’être réintégré dans toutes les charges dont il avait été destitué en 1654. Créé chevalier des ordres du Roi, le 31 décembre 1661, le prince de Condé ne reçut un nouveau commandement qu’en 1668 ; peu après sa victoire de Seneffe, il se retira dans son château de Chantilly (1675) où il vécut entouré d’écrivains et d’artistes; il mourut à Fontainebleau le 11 décembre 1686.
Le Grand Condé avait formé à Paris une bibliothèque composée d’environ 10000 volumes ; cette collection passa à son fils Henri-Jules, qui l’enrichit considérablement, mais à la mort de ce dernier (1709), elle fut complètement dispersée. Le volume porte sur la garde cette mention manuscrite du XIXe siècle « c’est peut-être le dernier volume qui ait été relié pour le Grand Condé. On sait en effet que le Prince mourut à Fontainebleau le 11 décembre 1686 à 7 heures ¼ du soir… ».