Colophon : Impresso in Firenze per ser Francesco Bonaccorsi Nel anno mille quattrocento nouanta Adi. xx. di septembre (20 septembre 1490).
In-4. A-k8-l10. 90 ff., 38 lignes. Types : 112 R., texte ; 79 R., commentary.
Vélin ivoire, dos lisse avec titre manuscrit, tranches bleues. Reliure italienne du XVIIIe siècle.
204 x 138 mm.
Édition originale de l’un des chefs-d’œuvre de Dante.
Hain 5954.
Rédigé en italien pendant son exil entre 1304 et 1307, le Convivio – Le Banquet – est sans doute l’ouvrage le plus direct dans lequel Dante expose la problématique philosophique générale qui l’anime. Ce traité devait en effet contenir tout le savoir humain. De fait on y trouve des questions de politique, de philosophie et d’amour.
Dante fut le premier à défendre l’usage de la langue vernaculaire, qu’il considérait comme supérieure au latin sous les aspects de la beauté et de la noblesse de la langue. “The first extended piece of original expository prose in the Italian vernacular” (Lansing, Dante, encyclopedia, pp. 224-232).
Les trois thèmes fondamentaux du Convivio sont la défense de la langue vernaculaire, l’exaltation de la philosophie, et le débat sur l’essence de la noblesse.
Le Banquet est né du besoin ressenti par Dante de défendre sa réputation aux yeux de ceux avec lesquels il avait des contacts et de se révéler tel qu’il était réellement, amateur de sagesse, homme de vie morale intègre. Poussé également par le désir d’exposer sa doctrine il commentera son amour de la sagesse il entend par sagesse, le savoir qui se conquiert par la connaissance de la vérité. De cette sagesse, suprême perfection vers laquelle chaque homme tend par une impulsion intérieure, Dante fera un banquet, non parce qu’il est au nombre des « quelques privilégiés qui s’assoient à la table où le pain des anges [la sagesse] se mange », mais parce que, ayant « échappé aux appétits du vulgaire, il se trouve aux pieds de ceux qui siègent ». Il recueille « ce qui leur échoit », et il en goûte la douceur, connaissant la vie misérable de ceux qui sont restés à jeun à cause de leurs occupations « familiales et civiles ». Guidé par ce sentiment, il est incité à écrire pour tous ceux, « princes, barons, chevaliers et autres nobles, hommes et femmes, qui font partie du peuple et qui ont d’autres soucis que celui de la littérature ». Le bien-être social dépend d’eux, c’est pourquoi il faut les instruire dans leur propre langue, celle de tous les jours, délaissée par les lettrés de profession, uniquement soucieux de leur gain. A ceux qui ont préservé en eux la sagesse naturelle, Dante offrira son enseignement dans des chants auxquels il apportera tous ses soins et toute l’expérience de sa maturité. Ces chants seront les « mets » du banquet, le « pain » en sera le commentaire en prose courante. Dans ces déclarations en prose Dante ne se servira pas du latin (« pain de froment ») pour que les rapports, les correspondances qui doivent nécessairement exister entre le commentaire et les chants en langue vulgaire ne soient pas
rompus. Il se servira de la langue courante (« pain d’orge ») parce qu’universellement comprise elle répandra plus largement la science et la vertu (la sagesse). Il est aussi influencé par l’amour naturel qui le lie à la langue qui est sienne depuis sa naissance, et dans laquelle palpite la vie de sa pensée et se répandent les ondes sensibles de ses premières affections. Avec l’enthousiasme de l’artiste qui s’exalte en célébrant sa propre langue, parce qu’il la sent instrument docile d’expression vivante, originale, chaleureuse, Dante affirme la « valeur » de l’italien vulgaire, apte à exprimer « de très grands et de très nouveaux concepts d’une manière convenable, suffisante et satisfaisante », tout comme le latin. II s’attaque avec un dédain généreux aux « mauvais Italiens qui louent la langue vulgaire des autres, mais qui déprécient celle qu’ils parlent ». Cette langue est désormais vouée aux besoins de l’avenir, elle sera « la lumière nouvelle et le nouveau soleil qui se lèvera là où l’ancien [le latin] aura disparu, et elle répandra sa lumière sur ceux qui sont dans les ténèbres et l’obscurité ». Dante en finit avec l’introduction par la confiance qu’il manifeste dans le triomphe futur de l’italien vulgaire et dans la valeur intrinsèque de son œuvre.
Le Dante moraliste qui se fera juge des hommes dans La Divine Comédie est déjà tout entier dans Le Banquet. Les lignes directrices de sa pensée, qui se plie fidèlement à toutes les exigences du réel, se dessinent nettement dans cette œuvre, malgré l’abondance et l’obscurité des notes complémentaires et des digressions marginales. Elles s’harmonisent entre elles dans les limites d’un système de principes rationnels, rigoureusement déduits, au moyen de syllogismes. Il en résulte une prose robuste et sévère, bien éloignée de la fragile légèreté de la Vita nuova. Cette prose n’est pas exempte d’une certaine rudesse dans la structure complexe de la syntaxe, mais la pensée directrice l’amène, sans aucune concession, mais par des effets faciles, jusqu’à l’expression de cette sagesse dont l’âme est assoiffée. Cette même sagesse qui, dans La Divine Comédie, s’incarnera dans le personnage de Virgile, est une sagesse philosophique grâce à sa valeur objective, mais telle qu’elle trouve dans la foi une lumière qui la fortifie et qui donne une saveur nouvelle aux vérités de la raison. C’est cependant une sagesse qui désaltère mais n’assouvit pas, parce qu’elle aspire à connaître la sagesse supérieure qui est refusée au monde temporel. Dante avait fait de ces états une expérience vivante et personnelle qu’il exprime de manière poétique. Et de son propre aveu, il attribue la facture parfaite de ces chants philosophiques à l’influence de Virgile, « son maître ».
Précieux et bel exemplaire conservé dans son séduisant vélin du XVIIIe siècle, aux marges couvertes de notes et commentaires anciens calligraphiés à l’encre.