LA FONTAINE, Jean de Fables. Avec les dessins de Gustave Doré.

Réservé

L’un des dix exemplaires tirés sur Chine en 1867.
Un artiste domine de la hauteur de son imagination l’histoire de l’édition des Fables de La Fontaine au 19ème siècle, Gustave Doré.

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UGS : LCS-18511 Catégories : ,

Paris, Hachette, 1867.

2 volumes in-folio, I/ (1) f.bl., (2) ff., 1 portrait, lx pp., 317 pp., (1) f.,, 42 planches hors texte ; II/ (2) ff., 383 pp., (1) p., 43 planches. Maroquin bleu, encadrement de 13 filets dorés sur les plats, dos à nerfs ornés, encadrement intérieur de 11 filets dorés, tranches dorées sur témoin. Chambolle-Duru.

432 x 315 mm.

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Première édition illustrée par Gustave Doré, ornée d’un portrait d’après Sandoz, ainsi que 248 vignettes et 85 illustrations à pleine page.

Un des dix exemplaires sur Chine du tirage de luxe, avec les encadrements et le titre en rouge imprimé à la date de 1867 au lieu de 1878.

Un artiste domine de la hauteur de son imagination l’histoire de l’édition des Fables de La Fontaine au 19ème siècle, Gustave Doré.

« Loin des illustrations légères ou satiriques, Gustave Doré propose une lecture plus originale des Fables de la Fontaine. Ses illustrations oscillent volontiers entre réalisme et fantastique, offrant un contrepoint saisissant au texte.

Ce réalisme sert plutôt de ressort au fantastique. Ainsi, dans le détail fourmillant des animaux malades de la peste, Doré veille à disposer au premier plan celles des espèces qui sont le plus propres à créer de l’inquiétude : crocodile, pélican, hibou, rhinocéros, toutes créatures placées sous le signe de l’étrange par leurs excroissances singulières ou leur aspect monstrueux et repoussant, qui éloignent de l’idée rassurante de la beauté des choses et de l’harmonie de l’ordre créé. Doré a trouvé dans le magasin du monde l’équivalent des figures grotesques et des hybridations chimériques, contre-nature, que Jérôme Bosch puisait à la source de son imagination pour en peupler ses tableaux. Mais cette fantaisie n’a rien de gratuit et demeure subordonnée à la fable qu’il s’agit d’interpréter. Car ces formes difformes expriment en elles-mêmes, tout autant que la scène centrale de carnage – incontestablement plus proche de la lettre du texte : « À ces mots on cria haro sur le baudet » -, une dissonance dans la nature qui sert d’image à la discordance morale dont parle La Fontaine, entre la beauté idéale des discours et la réalité sauvage des conduites. C’est dire que le réalisme fantastique de Doré est allégorique : il fait de l’image un signe.

L’imagination fantastique opère chez Doré par la conjugaison de deux moyens : le recours à un répertoire d’images privilégiées qui, par leur récurrence ou le réseau qu’elles forment, acquièrent la valeur de motifs obsédants, et l’usage de modes de composition qui animent la représentation d’une puissance dramatique.          Il est certain que plusieurs figures qui reviennent avec insistance sont appelées par les textes de La Fontaine ; mais Doré parvient le plus souvent à transformer le thème en symbole.

Considérons par exemple le motif de la forêt. Cadre naturel des fables qui mettent en scène un bûcheron (« La Mort et le bûcheron », « Le bûcheron et Mercure », « La forêt et le bûcheron »), elle s’enrichit d’une valeur supplémentaire pour devenir le signe de l’effroi : soit que, par quelque effet d’analogie visuelle, elle offre une image de ce sentiment – ainsi des branches mortes dressées vers le ciel qui répètent et par conséquent amplifient le geste de désespoir du bûcheron qui a perdu sa cognée dans « Le bûcheron et Mercure » – soit qu’on joue de l’association ancestrale de la forêt à l’idée du péril, de l’égarement, voire de la mort. Pour illustrer « Le loup et le chasseur », Doré s’est fortement inspiré de la planche du peintre Jean-Baptiste Oudry publiée un siècle plus tôt, entre 1755 et 1759, dans une célèbre et monumentale édition des Fables. Mais la scène qu’Oudry avait située à l’orée d’un bois, Doré l’a transportée dans une forêt. La forêt n’est plus un simple décor mais se transforme en véritable personnage, chargé de signifier le danger comme, dans le texte, le chasseur signifie la convoitise et le loup l’avarice.

Épicurienne, la fable de La Fontaine était un appel à profiter de la vie sans remettre au lendemain ses plaisirs. Romantique, l’image de Doré en infléchit désormais le sens pour en faire une évocation de la condition tragique de l’homme, déplaçant l’accent principal de l’injonction à jouir du présent vers sa raison philosophique : s’il ne faut pas laisser attendre le plaisir, c’est que l’existence est brève et cernée par la présence menaçante de la mort (« Eh ! mon ami, la mort te peut prendre en chemin »).

Du même ordre imaginaire participe, comme la figure des loups aux aguets vient d’en donner l’exemple, le goût que manifeste Doré pour la représentation des ombres et des formes spectrales. Cela donne parfois lieu à des trouvailles de mise en scène : la gravure d’ « Un animal dans la lune », pour laquelle l’artiste a pris de nouveau modèle sur celle d’Oudry, ajoute à celle-ci l’idée de transposer le motif de l’animal que les observateurs croient apercevoir à travers leur lunette en une souris fantastique, à grandes oreilles, échine courbe et queue sinueuse, créée par l’ombre portée du télescope et de l’assistance au clair de lune. Il est vrai qu’il n’y a là rien de vraiment inquiétant : ce n’est que l’ombre vaine de l’opinion. Bien plus angoissant est le spectre de la mort qui se profile comme une ombre livide parmi les arbres dans « La Mort et le bûcheron ».

À l’imagerie traditionnelle de la danse macabre, où la Mort était représentée de manière frontale, sous les traits d’un squelette tirant les hommes à lui pour les entraîner dans son pas, Doré substitue la figure d’un surgissement dans le lointain, qui fait d’autant mieux sentir le caractère inéluctable de la fin qu’il la maintient dans l’attente. La perspective est ici un principe d’organisation de l’espace doublé d’un principe psychologique de compréhension intuitive, qui lui donne toute sa raison d’être. Le procédé est le même, dans « Les loups et les brebis », pour les trois loups qui guettent leurs proies : ils apparaissent tout à coup sur l’immédiat horizon tracé par le bord de l’enclos où sont parquées les brebis, de manière à intégrer à la signification du danger l’expression de son imminence. Doré tire des effets d’autant plus puissants de ce principe de composition qu’il le conjugue souvent avec un éclairage à contre-jour.

« Le lièvre et les grenouilles », « L’aigle et le hibou », « Les deux rats, le renard et l’œuf », surgissent eux aussi comme de grandes ombres menaçantes. Grandville resserrait le point de vue sur les figures : c’est le parti que suit également Doré dans les vignettes placées en tête de fable.

De multiples références picturales :

Mais ce n’est jamais là, aussi riche soit-elle, que grammaire de peintre consistant en un vocabulaire mis en forme par un corps de règles et de procédés expressifs. L’un des grands traits d’originalité de Doré, qui le distingue de ses nombreux prédécesseurs qui se sont essayés aux Fables de La Fontaine, est d’augmenter cette grammaire d’une culture picturale ce qui donne à l’illustration toute l’épaisseur d’un langage.

Il est frappant de constater que Doré, dès qu’il le peut, glisse dans ses planches des citations picturales plus ou moins développées. La plus complète d’entre elles sert à illustrer « Le meunier, son fils et l’âne ». Doré s’est si étroitement inspiré de la toile qu’Honoré Daumier avait peinte sur le même sujet et exposée au Salon des artistes français en 1849, qu’on ne peut voir dans sa composition qu’un hommage rendu à cette œuvre et à son auteur. Or ce salut adressé par le cadet à son aîné est d’autant plus remarquable qu’il n’est pas un simple clin d’œil fait, si l’on peut dire, par-dessus l’épaule de La Fontaine, mais constitue en lui-même une très habile manière d’illustrer dans l’ordre de la peinture les premiers vers de la fable : « L’invention des arts étant un droit d’aînesse, / Nous devons l’apologue à l’ancienne Grèce. / Mais ce champ ne se peut tellement moissonner / Que les derniers venus n’y trouvent à glaner ».

Les autres références à des peintres contemporains sont en général plus ponctuelles. C’est par exemple, dans « L’hirondelle et les petits oiseaux », la figure du paysan qui rappelle le portrait du Semeur en marche de Jean-François Millet, l’un des tableaux les plus remarqués au Salon de 1850. Théophile Gautier le décrivait ainsi : « La nuit va venir, déployant ses voiles gris sur la terre brune ; le semeur marche d’un pas rythmé, jetant le grain dans le sillon, et il est suivi d’un vol d’oiseaux picoreurs. » Illustrer la fable de La Fontaine consiste pour Doré à remanier l’ordre de la toile de Millet en en conservant les termes : les « oiseaux picoreurs » passent au premier plan, le semeur au second, mais le ciel demeure voilé de gris et la scène en bord de mer – là où La Fontaine ne la situait pas, laissant cette question dans le plus complet silence.

De même, les planches qui mettent en scène des cerfs (« Le cerf se voyant dans l’eau » ; « Le cerf malade ») doivent beaucoup, dans leur traitement naturaliste, aux paysages de sous-bois avec gibier dont Courbet avait répandu le goût à la fin des années 1850. Les relations entre Doré et Courbet étaient pourtant loin d’être parfaites, et l’admiration de l’un pour l’autre plus que nuancée de réserves. Mais cela prouve que le geste de citation ne relève pas de l’anecdote biographique : l’enjeu, situé à un niveau beaucoup plus élevé est de trouver pour illustrer la fable les termes propres de la peinture, non seulement ceux qu’offrent ses possibilités techniques mais aussi ceux que propose le legs de son histoire.

Cela explique que certaines références soient faites à des genres, des formules ou ce qu’on pourrait appeler des « lieux communs » picturaux, plutôt qu’à un artiste ou un tableau précis. Le peintre Michallon avait peint au début du 19ème siècle, sous le titre « La Femme foudroyée », un très grand chêne au pied duquel deux personnages se penchaient sur le corps d’une femme abattue par l’orage, mais il n’est pas sûr que Doré ait eu précisément cette toile à l’esprit en insérant un cavalier foudroyé vers lequel se dirige un piéton dans la planche qui illustre « Le chêne et le roseau ». Il est par contre certain que le traitement qu’il a donné de la fable, qui consiste à prendre pour sujet principal une grande étude d’arbre tourmenté par la tempête, s’inscrit dans la lignée des tableaux des paysagistes de son temps, ceux de l’école de Barbizon.

Doré puise également nombre d’idées à la source de la peinture hollandaise du 17ème siècle, dont on sait l’importance qu’elle a eue pour les artistes de son temps.

C’est par exemple le grenier du « Conseil tenu par les rats », dont l’éclairage latéral tombant sur un groupe de petits personnages disposés en cercle dans un ameublement de misère rappelle les tableaux et gravures d’intérieurs rustiques d’Adriaen Van Ostade.

Doré a composé une galerie d’images comme les architectes de son temps construisaient des châteaux, dans un esprit historiciste faisant voisiner sans complexe des styles éloignés et des époques différentes. On peut le comprendre de deux manières. Il est possible que, renversant la figure familière et débonnaire du « bonhomme La Fontaine », l’artiste ait désiré imposer l’image magistrale du grand classique : si classique que l’illustration même de son œuvre se montre capable de contenir tous les siècles de la peinture, comme un vaste musée prolongé jusqu’au temps présent. À moins qu’il ne faille interpréter l’éclectisme comme un projet esthétique plutôt qu’une nécessité historique. Mêler ainsi les styles et les genres procéderait alors de la volonté d’illustrer, au-delà de ce que dit le poème, l’intention poétique qui préside à sa création même que La Fontaine avait dès l’origine inscrite sous le signe de la diversité. » B.n.F.

Magnifique exemplaire André Vautier et Marcel Lapeyre (Fondation Napoléon) l’un des dix tirés sur Chine en 1867.

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Auteur

LA FONTAINE, Jean de