Précieuse édition originale en vélin de l’époque d’Henri II Estienne sur la langue française
imprimée en 1579, auteur présent dans « Lagarde et Michard du XVIe siècle ».
De la bibliothèque « Montaigne et son temps » du Docteur Pottiée-Sperry.
Estienne, Henri II. Project du livre intitulé De la precellence du langage François. Le livre au lecteur, je suis joyeux de pouvoir autant plaire Aux bons François, qu’aux mauvais veux desplaire.
Paris, Mamert Patisson, 1579.
In-8 de (16) ff., 293 pp. numérotées 295 et 1f.bl. Plein vélin ivoire, dos lisse avec le titre manuscrit en tête. Reliure de l’époque.
154 X 96 mm.
Edition originale de « ce volume recherché » (Bulletin Morgand et Fatout, n°8187)
Henri II Estienne, surnommé le Grand, seigneur de Grière, fut typographe, philologue, érudit, auteur satirique, polémiste, grammairien de premier ordre.
Les œuvres françaises d’Estienne le situent au premier rang des bons défenseurs de la langue, à la suite d’un Joachim du Bellay et d’un Estienne Pasquier. Il les dépasse même en sa ferveur d’amour pour le langage de son pays natal. Il a sur ce point une véritable doctrine. Et cette doctrine, on a pu la ramener à un syllogisme rigoureux : 1° il n’y a pas eu et il n’y aura jamais de plus belle langue que le grec, 2° or, le français est de toutes les autres langues celle qui se rapproche le plus du grec, 3° donc, le français est supérieur à toutes les langues modernes.
Ce « Projet du livre intitulé De la précellence du langage françois », Mamert Patisson, 1579 est une œuvre très remarquable. Estienne ne se borne pas à recommander l’usage du français, comme l’avaient fait du Bellay, Pasquier et Ronsard, il réfute les latinistes et veut que les qualités du français lui donnent le droit de vivre, comme langue littéraire, non seulement à côté mais au-dessus du latin : « Mon intention, dit-il, n’est pas de montrer seulement que le langage françois est plus capable d’éloquence, ou capable de plus grande éloquence que les autres quand il est question de haranguer ; mais que généralement en toutes choses esquelles on s’en veut servir, on y trouve des commodités bêucoup plus grandes. »
Édition originale, dédiée à Henri III par une longue épître. – Dans son combat pour la défense de la langue française, Estienne avait publié à Genève en 1578 ses Deux Dialogues du nouvêu langage français italianizé. Il y stigmatisait l’utilisation abusive, à la Cour de France, des mots italiens. Condamné par le Grand Conseil de Genève, Estienne avait fui à Paris où il devait imprimer ce nouvel ouvrage, commandité par le roi, le plus détaillé et le plus complet des trois qu’il consacrait à la langue française. L’humaniste y reprend ses développements antérieurs sur la valeur du français opposé à l’italien, au latin et même au grec. À l’appui de ses démonstrations, il invoque Dante, Pétrarque, Boccace, Bembo et l’Arioste, et les Français Desportes, Baïf, Bellêu, Du Bellay et Ronsard. – Renouard, Annales Estienne, p. 181, n° 3. – Schreiber, The Estiennes, 250.
Une intéressante analyse amène Estienne à comparer la traduction des vers de Virgile par l’Arioste et par lui-même ; il cite cinq versions successives de différents passages pour montrer la supériorité de la langue française sur l’italienne : Il est certain qu’on les pourrait traduire en telle sorte qu’ils auroyent encore d’avantage de gravité : mais i’espere qu’on me confessera que de ces cinq celle qui en ha le moins, en ha plus que l’italienne d’Arioste. Il montre ensuite comment Ronsard entreprit de retraduire des vers de Virgile, précédemment mis en italien par 1’Arioste. C’est l’époque où Ronsard, tardant toujours, dans l’attente d’une récompense royale, à terminer sa Franciade, en faisait circuler de fragments manuscrits ; les quatorze vers reproduits par Estienne font partie des prolégomènes de cette œuvre (cf. Exposition Ronsard, Paris, Bibliothèque nationale, 1985, 11° 176).
Pour montrer le glissement du sens de nombreux proverbes, Estienne analyse le remplacement successif des uns par les autres : Pour venir de Sagesse à Science, nos ancestres nous ont aussi appris à dire, Science n’ha ennemis que les ignorans. Item, Science sans Fruit ne vaut guere. Item, Il n’est thresor que de science. Ou, richesse que de science. Toutesfois ils disoyent aussi Diligence passe science. Mais aucuns auiourdhuy disent, Pacience passe Science.
Parmi les proverbes ainsi examinés, nombreux sont ceux qui renseignent sur l’état d’esprit de l’époque Force n’est pas droit ; Amis valent mieux qu’argent ; Qui de ses subiects est hays, n’est pas seigneur de son pays, etc.
Cette édition originale rare est quasiment introuvable en pure reliure de l’époque comme le présent exemplaire.
Pierre Berès présentait un exemplaire relié tardivement, vers l’année 1800, dans son catalogue « Des Valois à Henri IV, n°114 ».
Provenance : exemplaire du philosophe Charles Renouvier (1815-1903), avec sa signature au verso de la première garde, accompagnée de la mention « Florence mai 1842 ». Il fut par la suite la propriété du docteur Francis Pottiée-Sperry, « Montaigne et son temps », dispersée par Sotheby’s il y a un peu plus de onze années (Paris, 27 novembre 2003).
Estimé alors 12 000 à 18 000 € avec frais, ce volume fut alors vendu près de 15 000 €.
Précieux exemplaire conservé dans son pur vélin de l’époque.